Cinéma

Adolescentes

10 novembre 2020

Sébastien Lifshitz s’est fait connaître en tant que documentariste, par des films aux sujets socialement engagés : Les Invisibles, en 2012, donnait la parole à des personnes homosexuelles nées dans les années 20-30 ; Bambi, en 2016, à une femme née dans un corps d’homme.

La question du lien entre corps et société semble aussi posée par le « dispositif » d’Adolescentes : Lifshitz a filmé à Brive-la-Gaillarde pendant cinq ans, de la classe de 4e au baccalauréat, deux jeunes filles, Emma et Anaïs, aussi dissemblables - y compris physiquement - qu’inséparables au début du tournage.

 

On a peu filmé l’adolescence dans le cinéma documentaire : il y faut du temps et de la patience. Ce qui frappe ici, et n’était pas forcément prévu au départ, c’est le propos social sans concession du film : Anaïs, d’origine modeste, est rapidement livrée à elle-même, et sa vie ressemble à une suite de galères et de souffrances, entre père peu présent, rupture sentimentale, mère dépressive, logement détruit… Elle fait face aux aléas avec une énergie et une drôlerie qui forcent l’admiration. Emma, issue d’un milieu bourgeois, est beaucoup plus solitaire, dubitative face à l’existence, et reste assez mystérieuse. Leur trajectoire est marquée par un déterminisme social implacable : bac pro arraché dans la douleur pour l’une, bac général avec mention pour l’autre. Le montage parallèle souligne aussi l’intensité de la relation des deux jeunes filles avec leur mère respective, ainsi que l’opposition entre les deux éducations : Anaïs finit par prendre sa mère en main pour l’aider à combattre sa dépression, là où l’éducation de celle d’Emma paraît assez étouffante, obsédée par la réussite scolaire de sa fille. Mais que d’amour, fût-il non dit ou maladroit, entre elles quatre…

 

Lifshitz a su se faire oublier, et sa caméra capte d’étonnants moments de complicité entre copines, notamment sur le fondamental sujet des garçons... Le film s’approprie l’énergie de ces deux jeunes filles au caractère bien trempé, l’une comme l’autre attachantes, émouvantes, et drôles. Son humanité le rend passionnant.

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Un film de Sébastien Lifshitz

Sortie septembre 2020, 2 h 15

Philippe Arnaud

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