Anne-Marie Landes : Écouter et aimer
Si elle n’avait pas rencontré des personnes qui croyaient plus en elle qu’elle-même, Anne-Marie Landes serait peut-être restée mère au foyer. Jamais elle n’avait imaginé qu’un jour elle serait aumônier et monterait sur scène pour en témoigner...
Ça revient comme un leitmotiv dans la conversation. Des visites à l’hôpital, tout le monde peut en faire, avec une petite formation. Le manque de visiteurs bénévoles à l’hôpital lui semble tellement injustifié... Mais Anne-Marie Landes sait bien, elle qui auparavant ignorait totalement l’univers hospitalier, que l’idée de s’engager ne tombe pas du ciel... Quoique ! C’est Nicole Keller, aumônier à l’Assistance publique des hôpitaux à Marseille, qui a senti que cet engagement lui conviendrait. Mais pour Anne-Marie c’était trop tôt trop angoissant, trop lourd. Mère de quatre enfants, bientôt trois fois grand-mère, elle s’était bien dit qu’un jour elle irait voir les enfants hospitalisés pour faire le clown, ou leur lire des histoires, mais plus tard... Et puis, quand une formation pour visiteurs a été organisée à Marseille, elle a dit « oui » à Nicole Keller. Pour lui faire plaisir. Et pour pouvoir lui dire, en connaissance de cause, que ce n’était décidément pas « son truc ».
La découverte d’un univers
Et ça a été le déclic. La formation, avec Inge Ganzevoort et Françoise Picouleau, s’est avérée passionnante et « accessible à tout le monde, pour peu que l’on ait un cœur qui écoute, et des oreilles aimantes ». Le Psaume 139 l’a beaucoup portée au début et la porte encore : « Seigneur, tu m’as scruté et tu connais mon coucher et mon lever... Je confesse que je suis une vraie merveille, tes œuvres sont prodigieuses... Je n’étais qu’une ébauche, et tes yeux m’ont vu... » La merveille, « ce n’est pas moi Anne-Marie, mais moi en tant que femme parmi les humains, merveille de la création parmi toutes les autres, tous ayant des capacités qu’ils ignorent ou dont ils doutent, mais qui peuvent se révéler,
rs grâce à Dieu ». Un Psaume qui prend un sens très fort aussi au chevet de personnes terrassées par la maladie ou en fin de vie. Chacune est une merveille aux yeux de Dieu, quelle que soit la vie qu’elle ait pu mener, quel que soit son état de santé aujourd’hui.
La vie, jusqu’au bout
Anne-Marie le sait, parce qu’elle est aussi passée par là : l’hôpital fait peur. Prendre de son temps libre pour aller voir des personnes malades, aux parcours de vie parfois très douloureux, au seuil de la mort, n’est pas a priori très attirant. Mais ce qu’elle a très vite découvert, dès sa première formation, c’est qu’avec ces personnes, la visiteuse vit de belles aventures. Des aventures pleines de vie. « Je vois la vie, jusqu’au bout. Ne sommes-nous pas, d’une certaine façon, tous potentiellement en fin de vie ? Personne ne connaît ni le jour ni l’heure... » Être au contact de personnes en fin de vie fait prendre conscience de façon aiguë de l’importance, de la richesse de chaque instant. De l’importance et de la richesse du lien, du partage. Jusqu’au bout, dire à l’autre, lui signifier : « ta vie compte, tu es là, et ce n’est pas rien. »
Des rencontres inoubliables
Il y a ce prisonnier hospitalisé, qui a trouvé la foi. Il est parti en disant qu’il emportait Dieu avec lui... Ou cette femme au triste parcours de vie, très seule. Elle rejetait la religion et Dieu en vrac. Anne-Marie a respecté le contrat avec elle : elle n’en parlerait pas. Lors de son dernier séjour à l’hôpital, cette femme a lancé la perche, disant que de toute façon Dieu l’avait sûrement oubliée puisqu’elle ne s’était jamais intéressée à lui... « Il y a entre vous juste la distance d’une prière », a répondu Anne-Marie. Et après cette prière qui disait tout l’amour de Dieu pour elle, la femme était profondément émue, et réconciliée... C’est une des choses qu’Anne-Marie essaye de transmettre aux visiteuses en formation : le respect de la personne, là où elle en est. Le respect de son rejet de ce qui touche à la religion, de sa fatigue, de sa fermeture. Et si le respect est là, dans l’instant ou sur la durée, alors une ouverture pleine de promesses devient possible.
Et le théâtre dans tout ça ?
C’est grâce à la Cie Sketch Up qu’Anne-Marie s’est lancée dans le théâtre. Elle a suivi des cours au Parvis des Arts, dès les années 90, participant à des aventures inoubliables, comme Don Quichotte. Là encore un autre, Olivier Arnéra, lui a donné la confiance dont elle manquait. Et puis il y a cinq ans, Pierre-Philippe Devaux, comédien, auteur et metteur en scène lié à la Compagnie, lui a posé plein de questions sur ses visites à l’hôpital, sur le comment et le pourquoi de son engagement, son ressenti, ses anecdotes. Et il a décidé d’écrire un spectacle sur l’aumônerie. Un spectacle sur la maladie et la souffrance ! Qui irait voir ça ? Mais la pièce a été écrite, pleine de profondeur, de finesse et d’humour. Et pour Pierre-Philippe Devaux, la seule à pouvoir la jouer était... Anne-Marie, « car, si le public pose des questions, comment une comédienne professionnelle pourra-t-elle y répondre ? »
Jouer pour témoigner
Une fois encore, quelqu’un la poussait vers un défi impensable. Jamais elle n’avait tenu un grand rôle dans une pièce. Et encore moins seule en scène. Mais cette pièce-là serait un formidable témoignage sur l’aumônerie des hôpitaux et toute la richesse que vit et reçoit une visiteuse. Alors elle a dit « oui ». La pièce a été jouée à Marseille, Paris, Nîmes, La Roche-sur-Yon, Strasbourg, faisant salle comble. Elle s’adresse à tous les publics, et soulève un réel intérêt, véritable ambassadeur des aumôneries des hôpitaux et hommage aux visiteurs bénévoles « dont trop de personnes ignorent l’engagement ».