Ceux qui osent parler de Dieu
Longtemps, Dieu s’est caché. On l’avait congédié.
Jacques Brel avait laissé le Bon Dieu si visible dans les chansons de ses débuts que Georges Brassens l’avait surnommé « l’abbé ». Mais il lui réglait son compte, comme dans La, la, la, en 1967 : « Quand viendra l’heure imbécile et brutale/ Où il paraît que quelqu’un vous appelle/ J’insulterai le flic sacerdotal/ Penché sur moi comme un larbin du Ciel ». Et voilà pour l’Église, le clergé et la métaphysique tout ensemble.
Pendant quelques décennies, Dieu ne s’entend guère dans les chansons que pour qu’on lui claque la porte au nez. On le laisse se montrer parce qu’il est de la famille de Marie (Ave Maria de Charles Aznavour, 1978) ou de son fils, célèbre rebelle (Jésus-Christ de Johnny Hallyday, 1970) et vedette pop (Jésus kitsch de Dalida, 1972). Entre athéisme gaillard (de Léo Ferré à Serge Lama et Bernard Lavilliers) et agnosticisme affiché (parfois malgré une réflexion plus nuancée, comme chez Brassens ou Souchon), le métier de la chanson relègue à ses marges les carrières trop évidemment portées par la foi, comme celle de Jean-Claude Gianadda.
Mais en 2013, Grégory Turpin s’arrache des labels et circuits chrétiens. Il signe un album chez TF1 Music puis passe chez Universal. En 2015, Francis Cabrel ose la chanson Dans chaque cœur, qui décrit le Christ sur la croix : « Pour le faire boire, un homme s’est approché/voilà l’espoir auquel il faut s’accrocher ». Et même s’il chante aussi un anticléricalisme limpide, il met en musique le texte Golgotha sur l’album de Serge Lama (automne 2016). Pour Cabrel, dans une période où s’exprime la plus féroce violence contre ce que nous sommes, il est logique d’en appeler au message fondateur de notre civilisation et porteur de la meilleure réponse à la haine : l’amour.
C’est ce que clame Renaud en dévoilant l’immense tatouage qu’il porte dans le dos : la figure du Christ couronné d’épines, entourée de la phrase « Comme lui j’ai aimé. Comme lui, j’ai souffert ». Il affichait déjà, comme Daniel Darc, un tatouage de croix huguenote, mais cette image presque sulpicienne souligne un instant collectif : le recours à une expression qui, longtemps, avait été bannie.
Si les chanteurs sont les porte-parole de leur environnement, cela ressemble à une prière collective.