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L'amitié

La notion d’amitié : un degré de plus que l’amour

26 juin 2024

C’est au prisme de l’Antiquité des philosophes et des auteurs du Nouveau Testament que Jacqueline Assaël propose d’entrer dans le thème de l’amitié.

© Pixabay
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Quand, du fait des données de l’existence, un être dont la rencontre vous a introduite sur le chemin de la foi s’enfouit dans le silence comme dans une réclusion, vous vous demandez si l’amitié peut perdurer dans ces conditions. Je me suis interrogée sur cette question à travers l’écriture de deux recueils : Frère de silence et Nouaison, parus aux éditions Jas sauvages, et d’un essai : « Vous, vous êtes mes amis ». L’amitié dans le Nouveau Testament, publié chez Olivétan.

Dans cette recherche, les intuitions poétiques m’ont apporté beaucoup de bonheur, comme cette découverte d’un terme peu commun : nouaison, issu de la botanique ; il dit l’immatérialité glorieuse, gratuite, de la fructification des fleurs qui se saluent et communient entre elles, à distance. Mais l’amitié vaut bien, aussi, une longue méditation !

 

Chez les philosophes

De grands philosophes lui ont consacré du temps, comme Socrate qui dit avoir cherché un véritable ami toute sa vie, ou comme Cicéron qui conclut que la fréquentation d’un ami reste une joie, malgré le déchirement que peut causer sa mort. Aucun n’a de réponse rationnelle sur l’origine de ce phénomène : l’amitié naît-elle des similitudes ou des dissemblances entre les personnes ? Platon se rit du problème et approuve les poètes : « Ils nous disent que c’est Dieu lui-même qui crée les amis. » L’amitié, un « mystère »… C’est ainsi que Montaigne la qualifie.

J’ai beaucoup aimé suivre ces auteurs anciens dans leur quête et leur analyse de l’amitié ; ils perçoivent tous en elle des vertus spirituelles et elle leur inspire des phrases magnifiques d’élévation. Ainsi, pour Platon, l’idée accomplie de l’amitié nous fait connaître l’essence véritable du monde. Pour Cicéron, l’amitié « fait luire, pour l’avenir, la douceur d’une espérance » ; un ami relève l’autre dans ses incertitudes, « rappelle son courage ». Alors l’amitié, c’est la foi et l’espérance…

En fait, Cicéron a tout compris de l’amitié parce qu’il parle latin. Il constate en effet que, dans cette langue, « c’est du mot amour que vient celui d’amitié et de là vient le principe d’une bienveillance conjointe. » Alors l’amitié, c’est la foi, l’espérance et l’amour !

 

Dans le Nouveau Testament

J’ai beaucoup aimé observer les auteurs du Nouveau Testament se colleter avec leur propre vocabulaire, grec, dans lequel l’amitié, philia, n’a aucun rapport étymologique avec l’amour, agapé. Dans ce cas, à quoi peut correspondre une amitié chrétienne ? Il leur reste à l’inventer, à partir du sens premier du terme philia, qui désigne toute forme de coopération pratique. Rien de très excitant pour l’esprit, a priori. Mais Luc et Jean, en particulier, sont très doués pour rendre ce mot apte à porter le message du Christ.

Je me souviens de ma jubilation, à la lecture de Luc chapitre 11 : les disciples reprochent à Jésus de ne pas leur enseigner à prier ; lui, semble un tout petit peu s’énerver, il les renvoie aux textes de leur tradition d’où est issu le Notre Père. Puis il leur explique que sa prière personnelle n’a rien de rituel : il demande à Dieu de lui accorder son Esprit saint pour pouvoir en ravitailler, comme d’un pain, tel ou tel ami, venu en confiance, en pleine nuit, en chercher chez lui. Quelle conception extraordinaire de l’amitié, appelée à pourvoir un affamé en Esprit saint !

Et Jean porte la valeur de l’amitié plus haut que celle de l’amour, quand dans son Évangile, à la question du Christ : « M’aimes-tu plus que les autres disciples ? », Pierre répond : « Oui. Tu sais bien que j’éprouve de l’amitié pour toi. » Jésus lui confie alors le soin de son Église. Chez les évangélistes, l’amitié n’est pas seulement un sentiment ; conformément à son étymologie grecque, elle implique, en plus, un engagement solidaire dans l’action accomplie au service de Dieu. En quelque sorte : la foi plus les œuvres !

Il suffit donc de chercher à servir Dieu dans un même esprit, et de se savoir mutuellement établis dans une prière d’intercession, pour cultiver cette amitié-là.

Jacqueline Assaël
Helléniste, professeur honoraire de l’Université Côte d’Azur

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