En vue du referendum

Les Églises protestantes prennent leur part

28 août 2018

Le 4 novembre prochain, la population de Nouvelle-Calédonie se prononcera par referendum sur la question de l’indépendance de ce territoire, 30 ans après les vives tensions et le processus de sortie de crise initié par les Accords de Matignon. Frédéric Rognon, professeur de philosophie des religions à la Faculté de théologie protestante de Strasbourg, revient sur les enjeux de ce referendum et sur l’engagement des Églises dans cette consultation.

Quel est l’esprit qui règne en Nouvelle-Calédonie à quelques semaines du referendum du 4 novembre sur l’autodétermination ?

Les risques de radicalisation sont forts de part et d’autre. C’est l’une des raisons qui ont poussé Édouard Philippe, en décembre dernier, à nommer un Comité des Sages, représentants des différentes composantes de la société néo-calédonienne. Ils doivent veiller à ce que les discours dans cette période qui précède le vote demeurent dans l’esprit de dialogue et de respect de la parole de l’autre qui a prévalu depuis les Accords de Matignon de 1988, après les terribles événements de la grotte d’Ouvéa et les tensions qui y avaient conduit. Ce Comité des Sages essaie de recadrer les discours qui pourraient vouloir fractionner la société néo-calédonienne en déniant le destin commun qui est souhaité depuis 1988.

(© Gérald Machabert)

 

 

Pourquoi de tels risques de radicalisation des discours, voire une radicalité plus large encore ?

Les mouvements indépendantistes souhaitent faire de ce referendum l’occasion d’une indépendance réclamée depuis longtemps. Mais il y a également sur le territoire d’autres forces politiques en présence qui ne prônent pas l’apaisement. Marine Le Pen y est, par exemple, arrivée au coude à coude avec Emmanuel Macron, lors de la dernière élection présidentielle en 2017.

Par ailleurs, alors qu’elle a été l’objet de négociations assez longues, la formulation même de la question du referendum laissera des gagnants et des perdants. « Voulez-vous que la Nouvelle-Calédonie accède à la pleine souveraineté et devienne indépendante ? » est la question qui sera posée, avec deux bulletins possibles pour répondre oui ou non. C’est une question binaire. On aurait pu rêver à une alternative entre le oui et le non, par exemple au sens d’une autonomie plus grande, dans le sens déjà entrepris par les Accords de Matignon. Mais la question de l’indépendance figure déjà en toutes lettres dans les Accords de Nouméa de 1998 comme devant être posée à la population de Nouvelle-Calédonie entre 2014 et 2018. Cette binarité risque de provoquer des tensions au lendemain du vote et de la publication des résultats.

Quelle est l’implication des Églises dans ces débats et dialogues à l’œuvre en Nouvelle-Calédonie ?

Il y a dans ce Comité des Sages des représentants de différentes Églises néo-calédoniennes. Mais les Églises ont elles-mêmes des positions variées sur le sujet – engagées ou non dans le débat – à l’image de leur diversité. Si l’Église protestante de Kanaky Nouvelle-Calédonie – la principale dénomination protestante – s’était prononcée en faveur de l’indépendance en 1979, elle est dans une toute autre démarche, celle (beaucoup plus nuancée depuis quelques années et dans ce temps précédant le referendum) d’être auprès de tous, quel que soit le résultat. D’autres Églises sont plus en retrait, en ligne avec leur propre tradition théologique, telles que l’Église libre, par exemple.

Est-ce que vous pouvez nous en dire plus sur la position de l’Église protestante de Kanaky Nouvelle-Calédonie ?

Cette Église s’est engagée dans la démarche d’un engagement pour le destin commun de la Nouvelle-Calédonie afin qu’il n’y ait au terme de ce processus de consultation ni perdants ni gagnants. Il est intéressant de noter combien cette démarche a été portée par un travail biblique en profondeur, en particulier à partir de l’Épître aux Éphésiens, chapitre 2, verset 19 : « Ainsi, vous n’êtes plus des étrangers, ni des immigrés ; vous êtes concitoyens des Saints, vous êtes de la famille de Dieu. » Cette réflexion se veut résolument positive, tant avant le vote qu’après : il s’agit d’être auprès de tous et que les différentes voix puissent s’exprimer et être entendues de part et d’autre.

Est-ce que vous diriez que les Églises protestantes ont un rôle prépondérant dans la vie civile néo-calédonienne actuelle et plus spécifiquement dans ce débat ?

Sans chercher à minimiser le rôle des Églises protestantes dans la vie de la Nouvelle-Calédonie, ou le rôle de l’Église protestante de Kanaky Nouvelle-Calédonie avec laquelle l’Église protestante unie de France a des liens privilégiés, il faut cependant se méfier de l’effet de loupe que nous pouvons avoir en tant que protestants français. Nous avons tendance à considérer un peu vite que la Nouvelle-Calédonie est un territoire protestant, ce qui n’est pas le cas. Nous passons un peu vite sur la véritable diversité locale, à la fois ethnique et religieuse.

Les Kanak représentent 40 % de la population et parmi eux, 50 % sont protestants et 50 % catholiques. Finalement, les Kanak protestants représentent environ 20 % de la population globale du territoire.

Par ailleurs, au sein de cette famille protestante, on retrouve en Nouvelle-Calédonie toutes les composantes que l’on connaît en France : les protestantismes luthéro-réformé et libriste déjà évoqués, mais aussi les Églises et mouvements évangéliques et pentecôtistes.

Le président de la Fédération protestante de France, François Clavairoly, à l’occasion de sa visite lors du voyage du président Emmanuel Macron, en mai dernier, a souhaité rendre attentives les Églises protestantes en les invitant à réfléchir à la mise en œuvre d’un dialogue.

 

 

Propos recueillis par Gérald MACHABERT,
journal Réveil

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