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Ces théories qui nous dérangent

Nouveaux regards et nouveaux mots : Quand le woke bouscule nos visions du monde

27 octobre 2023

Quand la façon de voir le monde évolue rapidement, un fossé semble se creuser entre les générations. N’est-ce pas le cas depuis une décennie ? Woke, racisme systémique, intersectionnalité… des mots surgissent qui divisent et ne sont pas toujours compris.

Comme dans les années 1960, font irruption dans les débats publics, de manière tonitruante et dérangeante, des voix ignorées jusque-là : celles des personnes victimes de discriminations raciales, des femmes, des personnes homosexuelles*, etc. Hier, elles dénonçaient des législations qui les maintenaient dans l’infériorité. Elles reprennent la parole aujourd’hui pour dire que 50 ans après, dans la pratique, les inégalités persistent.

Le terme « woke » vient de l’américain wake (réveiller) et signifie qu’on a pris conscience de cela. Apparu d’abord sur les réseaux sociaux, il se popularise aux États-Unis au moment du mouvement « Black lives matter » (« Les vies des Noirs comptent ») contre les violences policières, puis de « Me too » contre les violences sexuelles. L’écologie et la prise de conscience brutale que les sociétés et les politiques publiques sont très en retard face à la crise climatique sont souvent associées au woke.

Racisme systémique

Ce nouvel antiracisme met en avant que les institutions (l’État, la police, l’administration, l’école, les entreprises...) distribuent inégalement les places, le pouvoir et les richesses. Inventée en 1976 par le philosophe Michel Foucault, l’expression « racisme d’État » n’implique pas que les régimes démocratiques occidentaux sont semblables aux États qui ont, au cours de l’histoire, inscrit la hiérarchie des races dans leurs lois. Elle souligne que le racisme imprègne et structure en profondeur les institutions d’État – avec des habitudes prises parfois à l’époque coloniale –, défavorisant ou excluant systématiquement certaines populations. Deux exemples : les pratiques routinières et discriminatoires des contrôles au faciès par la police ou l’affectation de moins de moyens dans des départements où habitent le plus grand nombre de personnes issues de l’immigration.
Les discriminations à l’embauche, au logement ou dans les contrôles policiers ne sont pas que le fait de personnes ayant des convictions « racistes ». Ce racisme est diffus, inconscient, involontaire. Il y a un effet de système, d’où aussi les termes de racisme systémique ou institutionnel.

Intersectionnalité

Le woke met également l’accent sur les situations où les inégalités se croisent et se cumulent, d’où le terme d’intersectionnalité. La vie est plus facile pour un homme blanc hétérosexuel de plus de 50 ans comme moi que pour une jeune femme noire lesbienne des quartiers populaires... Dès les années 1960 aux États-Unis, les militantes féministes noires font remarquer aux féministes blanches qu’en plus de la lutte pour l’avortement et la contraception, il fallait prendre en compte les questions de pauvreté que subissaient particulièrement les femmes noires. Martin Luther King, avec sa « guerre contre la pauvreté », lie la question sociale à celle des droits civiques dès 1964.
La revendication de justice écologique émerge face au constat que les plus pauvres – qui sont aussi souvent issus de l’immigration – subissent le plus les pollutions là où ils habitent : autoroutes, décharges, usines polluantes...

Les invitations de l’Évangile

Ces problématiques ne devraient pas être un étonnement pour notre sensibilité évangélique née dans des sociétés antiques très inégalitaires et multiculturelle. Quand Paul invite à ce qu’il n’y ait plus « ni juif ni grec, ni esclave ni libre, ni homme ni femme » (Galates 3.28), n’est-ce pas une manière de rendre sensible à ces séparations pour les dépasser et installer la fraternité universelle ? Ces appels des premiers chrétiens, comme plus tard ceux de la Réforme, ont très fortement accéléré la transformation des visions du monde et divisé, bien plus que les débats d’aujourd’hui, des familles et des pays.
Notre expérience historique de minorité nous apprend aussi que lorsqu’on est marginal, et donc moqué, il y a le risque de penser avoir raison tout seul, de transformer une juste aspiration en idéologie sectaire, de diviser le monde entre purs et impurs, gentils et méchants, ringards et woke… Parce que nous avons cette mémoire longue, n’avons-nous pas la mission de nous faire traducteurs et médiateurs entre les uns et les autres ?

* Plus largement, LGBTQIA+ pour gays, lesbiennes, bisexuelles, trans, queer (qui refusent d’être classé(e)s comme homme ou femme), intersexuelles (sexe indéterminé à la naissance).

Stéphane Lavignotte
Pasteur de la Mission populaire évangélique en Seine-Saint-Denis, professeur d’éthique

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