« Riz jaune »
Des senteurs de safran, de calamars raidis, de viandes saisies, de poivrons échaudés colonisent le courant d’air de la circulation, autour du carrefour, à l’entrée de la ville. Ambiance de feu de bois, ça « blou-bloute » dans la grande poêle posée sur quatre « cairons ».
Des senteurs de safran, de calamars raidis, de viandes saisies, de poivrons échaudés colonisent le courant d’air de la circulation, autour du carrefour, à l’entrée de la ville. Ambiance de feu de bois, ça « blou-bloute » dans la grande poêle posée sur quatre « cairons ». Des femmes, des hommes, des jeunes gens, des moins jeunes et des anciens sont heureux de se serrer autour des flammes du foyer. L’uniformité des gilets fait ressortir les pulsions verbales lancées à la cantonade. Les silences sont meublés par les craquements du feu et les lignes sonores des klaxons des véhicules qui passent. Enfin, l’invisibilité a pris des couleurs et de la voix. Chacun glisse l’histoire de son quotidien « d’avant ». On s’interroge. On découvre. On se dévoile… D’anonyme, on devient quelqu’un qui… appartient à un groupe. Les patronymes se déclineront plus tard s’il y a affinité ; mais l’heure est aux prénoms et, avec le temps, nous passerons aux diminutifs, aux surnoms et, peut-être, aux sobriquets. Plus qu’une histoire d’identité, cela devient une histoire de « reconnaissance » ! La minorité des plus modestes cherche ses lettres de noblesse. Ici, peu de discours d’experts, mais de témoignages de vivants qui partagent une expérience et racontent leur vie avec leurs mots. Les visions étriquées s’ouvrent, se métissent et s’affinent dans la douce chaleur des flammes qui dansent, dans la bienveillance des présents et les appétissants parfums de la paëlla qui mijote. Après l’élagage des dogmatismes et le dégauchissage des radicalités, chacun écume le « non-essentiel » de son mal-être à travers le tamis des histoires des plus malheureux que soi. Une certitude, il faut être visibles et entendus. Plus dur que le travail ou les fins de mois, le toilettage de l’humiliation a commencé : un coup de rouge, une p’tite bière, un café réchauffent les mains et le cœur, et rincent l’amertume des ressentiments. Sorti du « trou noir », chacun fixe les flammes du feu, personnage incontournable de la convivialité. La minorité, hier exclue, veut, aujourd’hui, être réintégrée dans la vie de la Nation. Loin des « fake news » diffusées sur les réseaux sociaux, le numérique aura, au moins, permis à faire renaître la solidarité et à réapprendre à s’aimer. Espérons que les instances de la République entendront ce besoin de justice et réduiront les inégalités ? Quand les feux s’éteindront aux carrefours, gageons que la haine s’apaisera à son tour.