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Mise en route (14)

Tendu vers le but

01 décembre 2016

Il est des versets bibliques qui jalonnent toute une vie, sans que cela soit conscient. Et puis un jour, on s’aperçoit, étonné et plein de reconnaissance, qu’ils nous ont guidés et portés dans nos choix.

Regarder sa vie passée dans le miroir de la mémoire, percevoir le fil qui relie chacune des étapes de vie et tenter de faire sens peut être un exercice riche en surprises. Trouverai-je l’unité des décisions qui m’ont fait passer de l’histoire à la théologie, du ministère pastoral à la conduite de projets sociaux, de l’aumônerie en prison à la politique de la ville, du conseil presbytéral aux engagements nationaux pour l’évangélisation ? De ces pièces de puzzle, puis-je donner une image qui retienne le regard ?

Voilà pourtant que je retrouve à chacune de mes réorientations ce texte envoyé depuis sa prison par l’apôtre Paul aux membres de l’église de Philippes : « Je ne veux pas dire que j’ai déjà atteint le but ou que je sois déjà parfait… Mais j’oublie la route qui est derrière moi, je suis tendu en avant, et je fais la seule chose importante : courir vers le but pour gagner le prix. Dieu nous appelle d’en haut à le recevoir par le Christ Jésus ». C’est ce regard qui a motivé mon entrée en faculté de théologie où j’ai vécu les événements de 68, avec leurs questionnements, au cœur même de ma démarche théologique, portée par ce puissant sentiment de liberté et de fraternité auquel fait écho le message de l’Évangile.

C’est en assurant l’aumônerie à la prison des Baumettes que j’ai pu mesurer l’extraordinaire attente de celles et ceux que je rencontrais : attente de sens et de reconnaissance, malgré la lourdeur inexcusable de certains de leurs actes. Ces années-là furent la plus saisissante école de vie pour moi, et je n‘oublierai jamais certaines rencontres.

C’est encore avec la parole de Paul que j’ai conduit mes responsabilités de services sociaux, tentant d’insuffler à chaque projet le sens de la justice et de la solidarité, mettant l’homme au centre. Au sein de notre église, j’ai porté inlassablement, ce message que l’Église existe d’abord pour ceux qui n’y sont pas, car elle est essentiellement missionnaire : c’est-à-dire pour les autres et par eux. Elle a à se laisser rencontrer par ceux que le Seigneur va chercher et trouver.

Tout au long de ces années, j’ai eu souvent l’impression de tenir le rôle du funambule pour qui le point à atteindre est devant, celui de la réalisation à imaginer et à mettre en œuvre. Une fois mis en mouvement, il faut garder le regard droit, le vide en dessous, mettre un pas devant l’autre, mesurer l’effort à accomplir sans précipitation ni excès, tenir le balancier, seul soutien, pour lui confier le soin de maintenir l’équilibre.

Ainsi, malgré les doutes, ai-je pu avancer avec et par l’Évangile. J’ai le sentiment d’avoir vécu un « parcours de la reconnaissance » comme le dit Paul Ricœur, parcours lié à la mémoire, à la promesse et au pardon, ce qui peut donner l’assurance « grave et joyeuse » de la gratitude.

Pierre-Yves DEBRENNE
Marseille

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