Cinéma

Un autre monde

12 avril 2022

Un film de Stéphane Brizé, 2021, 1h36.

Une des constantes du cinéma de Stéphane Brizé est de mettre en scène des individus qui ne trouvent plus leur « place » dans la société (Je ne suis pas là pour être aimé) ; dans la vie (Quelques heures de printemps, manifeste pour le droit de mourir dans la dignité) ; ni dans l’entreprise, sujet privilégié du cinéaste. De ce point de vue, Un autre monde forme une continuité avec La Loi du marché et En guerre, d’autant que Vincent Lindon joue dans les trois films un personnage contraint de choisir entre révolte et soumission.

Après avoir été vigile, puis syndicaliste, Lindon est ici Philippe, un chef d’entreprise confronté en même temps à un plan social imposé par le patron du groupe auquel son usine appartient, et à la demande de divorce de sa femme Anne (Sandrine Kiberlain). Le cinéaste alterne scènes familiales et scènes, plus longues, d’entreprise. Les premières soulignent, par contraste, l’inhumanité glacée des discussions à couteaux tirés autour du plan social. Le fils du couple, poussé à bout par le rythme de sa classe préparatoire, doit être hospitalisé en clinique psychiatrique, et au fil de ses soins et des moments passés ensemble, ses parents trouvent un apaisement et une complicité dans leur relation. En parallèle, Philippe doit mener à bien un plan social imposé par les actionnaires du groupe, et exigé par Claire, l’arriviste et brutale directrice du pôle France ; plan qui met en danger les salariés et la survie de l’entreprise.

Le jeu sobre de Vincent Lindon repose sur un visage fermé, tendu, qui fait ressentir l’épuisement, la perte de sens, causés par un système néolibéral déconnecté des réalités de l’entreprise et obsédé par les gains à court terme.

Comme dans La Loi du marché, et comme dans le film cousin Ressources humaines de Laurent Cantet, le cinéaste donne à voir un dilemme parfaitement tragique : obéir à ladite loi du marché en refusant empathie et affect comme Claire ; ou retrouver son humanité et « prendre soin » des siens. C’est la seule façon, en réalité, de faire advenir un autre monde.

Philippe Arnaud

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