Cinéma

Un mensonge d’État

01 mars 2020

L’ombre de Staline (Mr Jones), un film d’Agneszka Holland. Sortie le 18 mars 2020, 1 h 59.

En compétition au festival de Berlin 2019, cette fresque historique à thèse de la réalisatrice polonaise Agnieszka Holland - auteur de Europa Europa, golden globe du meilleur film étranger 1992 - a été écrite, au terme d’une enquête de 10 ans, par Andrea Chalupa, une journaliste américaine. Celle-ci rendait ainsi hommage à son grand-père, émigré ukrainien qui l’a élevée.

 

Il s’agit de l’histoire extraordinaire de Gareth Jones, journaliste gallois de 27 ans épris de vérité qui, de retour d’URSS, dénonça fin mars 1933 l’Holodomor, une extermination par la faim qui tua en 2 ans près de 7 millions de soviétiques, dont 4 millions en Ukraine. Personne ne voulut l’entendre. Jones, ancien conseiller du premier ministre Lloyd George, essaie en vain de convaincre celui-ci de la dangerosité de Hitler, rencontré dans son avion, et obtient cependant une recommandation auprès de Walter Duranty, correspondant du New York Times à Moscou, dans l’espoir d’interviewer Staline sur le miracle soviétique de l’industrialisation. Dès son arrivée, il va déchanter. Anesthésiés par la propagande et confinés dans la capitale, ses contacts occidentaux se dérobent. Lui-même se retrouve surveillé jour et nuit et son principal intermédiaire disparaît. Une source le convainc alors de s’intéresser à l’Ukraine. Parvenant à fuir, il saute clandestinement dans un train, en route vers une vérité inimaginable : dans cette région reculée, loin des discours officiels, il découvrira le prix que la structuration du complexe militaro-industriel du Premier Plan quinquennal a fait payer à la paysannerie, en confisquant le blé, acheminé vers Moscou.

 

Cette fiction documentée, juxtaposant la découverte de la famine par Jones à des clips de propagande soviétique, enrichie également des mémoires de l’aïeul de la scénariste, éclaire au cinéma l’un des épisodes les plus sinistres du stalinisme - un monstrueux génocide, occulté et oublié. Elle illustre de façon saisissante l’ampleur d’un mensonge d’État, couvert par des correspondants occidentaux égarés ou dévoyés et accepté par leurs pays au nom de la Realpolitik.

 

L’odyssée de Jones, assassiné en 1935, inspira George Orwell - qui apparaît dans le film - pour sa fable satirique, La ferme des animaux.

 

 

Jean-Michel Zucker

Commentaires