Le Nord, des gueux aux huguenots

Un protestantisme de la frontière

01 octobre 2018

C'est une riche et complexe histoire que celle des protestants du Nord de la France, tournés vers les pays protestants les plus proches, par terre ou par mer. Quelques repères historiques pour commencer...

Les cinq siècles d’histoire protestante du Nord sont inséparables de la frontière qui, au XVIe siècle, se situe plus au sud qu’aujourd’hui. Mise à part une bande littorale, le nord de la France est alors le sud des Pays-Bas !

La Réforme y apparaît précocement, les premiers « luthériens » étant signalés à Lille dès 1521. Mais la répression du maître des lieux, Charles Quint, est tout aussi précoce. Marguerite Yourcenar dans l’Œuvre au noir s’en fait l’écho. Des Églises calvinistes sont pourtant dressées dans la clandestinité grâce au pasteur Guy de Brès, auteur de la Confessio belgica. Philippe II d’Espagne poursuit la politique de son père, qui montre pourtant ses limites à mesure que le protestantisme progresse. Ainsi, à Valenciennes, les condamnés au bûcher sont sauvés par la foule, devenant des « mal brûlés ». En 1566, entre Lille et Dunkerque, éclate la crise iconoclaste et avec elle commence la révolte des Pays-Bas. Mais « l’année des Merveilles » s’avère de courte durée. La répression espagnole redouble d’intensité sur ces rebelles qualifiés de gueux. Le « tribunal des Troubles » multiplie les condamnations, les confiscations, les exécutions. Le Nord devient une terre de Contre-Réforme, se couvrant de collèges jésuites et de retables baroques.

 

Des raisons de partir

Dans la seconde moitié du XVIIe siècle, la région est conquise par Louis XIV. Les gueux deviennent des huguenots. Mais ce changement de souveraineté n’est nullement synonyme de tolérance. Les continuelles persécutions font du Nord une terre d’émigration. Les protestants franchissent la frontière pour l’Angleterre, les Pays-Bas du Nord, les Amériques et même l’Afrique du Sud.

En 1713, l’actuelle frontière se fixe. La protestante Hollande y obtient le droit de tenir garnison. Elle y dresse des Églises dites de la Barrière dont les registres révèlent la persistance de communautés protestantes rurales à Lecelles, Wanquetin, Illies, Baisieux et dans l’Est cambrésien. En 1732, le gouverneur de Flandre française fait arrêter à la frontière 2000 protestants partis communier à l’Église de la Barrière de Tournai !

Le géant protestant et ses créateurs des Beaux-Arts

(© Ph. et N. Vernet)

 

La poussée du Réveil

Au XIXe siècle, le contexte est plus favorable. Le nombre de protestants s’accroît avec l’arrivée d’entrepreneurs accompagnés de leur équipe d’encadrement - Dickson à Dunkerque, Holden à Roubaix, Seydoux au Cateau. Les missions d’évangélisation entraînent des conversions dans les milieux populaires. Des paroisses protestantes fleurissent dans le Bassin minier et dans les villes du textile.

Au XXe siècle, les protestants épousent leur siècle comme l’illustre l’itinéraire d’Henri Nick, ce pasteur du Réveil qui évangélise le quartier populaire de Lille-Fives, mettant peu à peu en place un faisceau de propositions sociales et spirituelles.

Ces quelques lignes ne peuvent que vous donner envie d’en savoir plus sur une histoire aussi riche que méconnue. Il suffira de lire quelques ouvrages romancés ou historiques ou de se rendre dans la région pour un prêche des haies ou une visite du musée du protestantisme de Dunkerque. Vous serez toujours les bienvenus chez les ch’tis protestants.

 

En savoir plus

Imprimée en mai 1561 à Rouen et adoptée au synode d’Armentières en 1563, la Confessio Belgica est aujourd’hui encore le texte de référence d’Églises réformées d’Europe, d’Amérique et d’Afrique.

 

Le « géant » Guy de Brès

 

À la demande de l’évêque de Lille en 2003, l’Église réformée de Lille a été invitée dans le cadre de « 2004 - Lille capitale de la culture » à participer à la fête des « géants de la foi », puisqu'une longue tradition perpétue les défilés de géants dans le Nord. Il fallut donc choisir un personnage marquant (pas un saint !) de notre histoire protestante. Après réflexion, je me suis dirigée vers l’école des beaux-arts de Lille. La réalisation du géant pourrait servir aux étudiants de travail de fin d’année... J’ai pu expliquer dans l'amphithéâtre que grâce à des hommes comme Guy de Brès nous avions aujourd’hui la liberté de penser, la liberté de croire ou pas. Cinq étudiants levèrent la main : l’aventure commençait ! Le 13 juin 2004, le géant fut conduit au rendez-vous, dans le jardin de la cathédrale Notre-Dame de la Treille, où il se retrouva entouré de nombreux saints locaux très colorés. Lui, habillé de noir, avec un boulet au pied, éveilla la curiosité et permit d'évoquer une page sombre de l’introduction de la Réforme dans les Flandres.

Nicole VERNET,

journal Liens protestants

Éric DEHEUNYNCK,
Professeur d’histoire

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