Yokainoshima, esprits du Japon

Dans notre esprit le Japon est un pays moderne développant de hautes technologies. Nous oublions, souvent, la dureté de son climat (des îles exposées aux typhons) et de sa géographie, avec ses nombreux tremblements de terre. La religion nationale, le shintoïsme, est très liée à la fois au peuple japonais et à la nature, elle développe le culte des kami, divinités et démons influençant la vie de l’archipel. Parmi ces personnages, les Yokai sont, pour reprendre les mots du photographe Charles Fréger, « des créatures imaginaires qui sont là pour “empoisonner” la vie des Japonais et les rappeler… à des obligations sociétales ».

Personnages imaginaires et collections historiques

L’exposition du Musée des Confluences de Lyon présente des photographies prises par Charles Fréger dans ce pays imaginaire des monstres et démons du monde rural japonais. Ces personnages appartiennent au bestiaire japonais : grues, hérons, ogres et démons, et illustrent les étapes de la vie rituelle des campagnes japonaises ; certains personnages n’étant pas sans rappeler les monstres empaillés valaisans ou les ours mythiques des Pyrénées. Les splendides photos ponctuent une exposition d'objets sortis des collections du musée : collections Guimet rapportées au XIX^e siècle par Émile Guimet, dépôts des Œuvres pontificales missionnaires… On y note la présence d’un manuscrit peint par Hokusaï sur un incendie et la lutte contre le feu. Au milieu de l’exposition, un temple d’aspect shintoïste vous invite à vous installer pour écouter des légendes. Les objets exposés reprennent des costumes de ces démons de la nature et donnent quelques explications sur les fêtes concernées. C’est d’une beauté étrange qui nous interroge sur le fossé qu’a franchi le Japon en une centaine d’années.

Le culte de la nature japonais au cœur des représentations

Le culte de la nature qui habite les Japonais, capables de faire des kilomètres pour regarder fleurir les cerisiers, se retrouve ici dans le contexte agricole contraint d’une nature montagneuse âpre et parfois violente. Les personnages photographiés par Fréger évoluent dans les paysages de leur fête, ils sont là, anonymes et dissimulés par les costumes de leur rôle, intrigants pour notre œil occidental. Je gage que pour une grande partie des Japonais ils sont aussi intrigants que pour nous.

L’exposition se prolonge avec une présentation rapide des théâtres Nô et Kabuki, qui comportent de nombreux démons de la nature parmi leurs personnages, et une mise en avant des premiers jeux vidéo et des mangas, sur lesquels se précipitent les jeunes visiteurs, adolescents et jeunes adultes.

Découvrir les empêcheurs de tourner en rond

On peut regretter l’absence de descriptions plus précises du rôle de ces Yokai représentées par Charles Fréger, mais ce n’est pas le but du photographe. Cependant, n’hésitez pas à voyager dans Yokainoshima, ce pays imaginaire ouvert par les périples d’un photographe contemporain, et laissez-vous emporter par la beauté étrange de ces « empêcheurs de tourner en rond » qui restent vivants dans le Japon moderne.