Chansons profanes et liturgie
Brel, Brassens, Piaf, Ferrat... Pas vraiment de fervents chrétiens ! Pourtant, l’organiste, titulaire de l’orgue du grand temple de Lyon, et un pasteur ont proposé des cultes, que vous avez pu entendre sur France Culture, à partir de leurs chansons. Témoignage.
De façon assez classique, Frédéric Lamantia et moi avions l’habitude d’animer ensemble des cultes : à lui la musique et à moi les paroles, dans un dialogue fluide qui avait trouvé son rythme. Frédéric venait au temple régulièrement en semaine pour jouer, alors que j’étais moi-même dans mon bureau en train de travailler. Un soir, j’ai reconnu le thème de chansons de Jacques Brel. Cela ne sonnait pas comme les psaumes et autres morceaux plus habituels... Et il faut dire que je suis une « fan » de Brel, subjuguée depuis l’adolescence par sa façon précise de croquer des situations quotidiennes qui pourtant touchent aux grandes questions de la vie, dans un langage toujours simple. Alors j’ai remercié Frédéric en lui demandant pourquoi il ne jouait jamais « ça » au culte !
Une remise en question
Sont nées alors une complicité autour de Brel et une discussion sur ce que, pour chacun de nous, était ou n’était pas un culte, ses objectifs : s’adresse-t-il uniquement à des convaincus ou peut-il parler aussi à des non-initiés ? Et une interpellation fondamentale de Frédéric sur la place respective de la parole et de la musique : pour lui la musique est un langage qui dit quelque chose de Dieu et de la foi. Alors pourquoi est-ce toujours la parole qui doit « surplomber » un culte et la musique n’être qu’une illustration ? J’ai accepté de relever le défi que ce soit l’œuvre musicale qui guide le choix du texte biblique et des thèmes liturgiques, et non l’inverse.
Une double aventure
Chacun de ces cultes a été une aventure particulière puisque l’enjeu était de faire du « sur mesure ». Cela demande un travail en amont sur l’artiste retenu et sur son œuvre, un travail de relecture théologique de cette œuvre, puis un grand soin dans l’articulation des textes et des musiques. Ils ont été vécus aussi comme une aventure par ceux qui y ont participé, déplaçant les habitués de leurs repères et les non-habitués de leurs préjugés.
Avec le recul, il me semble que ce type de culte a plutôt un objectif d’évangélisation : témoigner de notre foi chrétienne dans un langage accessible et à partir de thématiques dans lesquelles chacun peut se retrouver, qu’il appartienne ou non à une Église. Pour les habitués de l’Église, ils ont un côté frustrant : faire dialoguer l’œuvre musicale et le texte biblique ne laisse pas de place à une participation de l’assemblée, par le chant notamment. Les cantiques deviennent « dissonants » avec le style d’ensemble du culte.
L’expérience a été élargie à d’autres musiciens et d’autres styles (Gospels, suite en ré de Bach...) avec les mêmes conclusions : cela demande du travail, cela a du sens lorsque le projet est porté par des acteurs (pasteur et musiciens) dont la foi résonne avec l’œuvre choisie, et il s’agit résolument de cultes faits pour y inviter des personnes qui ne sont pas des habituées du culte.