Comte-Sponville s’adresse à Pascal
Et Dieu dans tout ça, le temps, le réel et l’espace, un dialogue entre deux philosophes qui s’interrogent par livre interposé
Âgé, ne pouvant plus faire de gros efforts, l’homme de ma combe aménage ses journées autour de la lecture et de l’écriture. Ce matin, il relève les passages qu’il a émargés dans le chapitre « Lettre à Blaise Pascal » du dernier livre d’André Comte-Sponville, « La clé des champs et autres impromptus » chez PUF.
Le philosophe A. Comte-Sponville, qui se qualifie d’agnostique fidèle, s’adresse à Pascal en le tutoyant : « Tu m’as aidé à penser ma foi par l’absence de preuves, à en douter par la faiblesse de tes arguments (les prophéties, les miracles, les prétendus témoins qui se feraient égorger…), à la mépriser un peu, enfin à m’en passer le moment venu. »
Au moment du vacillement de la foi du philosophe, l’aumônier de son lycée d’alors lui lance : « Dieu ne parle pas, il écoute ! » Estomaqué par la remarque, le jeune lycéen flottera entre deux eaux jusqu’à la politique, puis la philosophie. Et voilà qu’il soupçonnera alors dans cette déclaration flamboyante une part d’illusion et même d’escroquerie.
Il se retourne vers Pascal : « Tant pis pour la religion ! Quand le réel suffit, pourquoi croire en autre chose ? Et s’il ne suffit pas, que vaut cette croyance qui prétend suppléer à ses manques ? » … Les deux phrases que je cite ici jouèrent ensemble, et l’une et l’autre, un rôle décisif :
La première est de toi ; « Nous ne vivons jamais, mais nous espérons de vivre, et, nous disposant toujours d’être heureux, il est inévitable que nous ne le soyons jamais ». Je n’ai philosophé, peut-être bien, que pour échapper à cet inévitable-là.
La seconde est de Spinoza : « Il n’y a pas d’espoir sans crainte, ni de crainte sans espoir ».
J’entrepris de m’appuyer sur la seconde, pour éviter les effets dévastateurs de la première… Le présent, notais-tu, est le seul temps qui est véritablement à nous… Tu veux savoir ce que j’aime le plus en toi ? C’est que tu ne crois en rien (Alain a raison de saluer ton incrédulité invincible) … sauf en Dieu. Supprimons Dieu, il reste l’incroyance à l’état pur ! … Religion purificatrice, dirais-je volontiers en pensant à toi : parce qu’elle nous libère des faux dieux ! … Dans « Les Provinciales », tu écris : « Je n’espère rien du monde, je n’en appréhende rien […] Ainsi mon Père, j’échappe à toutes vos prises ». Sais-tu qu’on retrouve une idée voisine chez le cynique Démonax (Seul est libre celui qui n’a rien à espérer, ni rien à craindre) ? ...Tu as besoin de croire à une autre vie pour aimer celle-ci ! … Dieu parti, que reste-il ? Tout : le monde avec nous dedans, l’univers sans modification ni but, la nature infinie et incréée, le réel à quoi rien ne manque. Cela n’annule pas le tragique ; mais comment le tragique pourrait-il l’abolir ? … Le silence éternel de ces espaces infinis m’apaise.
La tramontane corne dans la cheminée. Dubitatif, notre homme se laisse emporter par l’immensité.