Jésus était-il bienveillant ?
La question peut paraître saugrenue tant nous avons tendance à parer Jésus de toutes les vertus à la mode. Alors, n’écoutons pas notre piété et posons-nous honnêtement la question en ne nous basant que sur ce qu’on apprend de lui dans les évangiles : était-il bienveillant ?
Quel sens donne-t-on à cette bienveillance ? S’il s’agit de gentillesse, de vigilance à ne rien dire qui puisse heurter la sensibilité de son interlocuteur, Jésus ne décroche pas le label. Ses diatribes contre les pharisiens (Matthieu 23.13ss) suffisent, à elles seules, à le disqualifier pour le titre de gentil ! Jésus dit à ses interlocuteurs ce qu’il a à leur dire et tant pis pour leur confort, leur susceptibilité et leur amour-propre ; bien des personnes ont pu se sentir blessées (pour reprendre un usage contemporain du mot) par les propos du maître.
Ne pas enfermer l’autre
En revanche, si l’on reprend l’étymologie du mot bienveillance, vouloir « du bien à » ou « le bien de » quelqu’un, l’analyse se doit d’être plus fine. Prenons en exemple l’appel de l’homme riche (Marc 10.17-30). Ce passage est étonnant, car il est le seul texte des évangiles synoptiques où Jésus est le sujet du verbe aimer. Il y a là a priori une bienveillance envers ce riche qui pourtant repartira penaud, dans son impossibilité à répondre à la demande de Jésus de donner aux pauvres tous ses biens. Pour Jésus, semble-t-il, vouloir le bien de quelqu’un consiste non pas à l’enfermer dans sa situation actuelle – voire sa médiocrité –, mais à en exiger plus parce qu’il l’en sait capable. Cet épisode bat en brèche la formule lénifiante « Dieu m’aime tel que je suis », qui gagnerait sans doute à être reformulée ainsi : « tel que je suis, Dieu m’aime », en sous-entendant « mais il préférerait que je me conforme davantage à sa parole. » Si Jésus aime l’homme, il ne saurait se satisfaire de sa servitude aux biens de ce monde. Bien sûr, suite à ce refus, Jésus rappelle la prééminence de la grâce aux disciples qui s’inquiètent. Mais à Pierre qui demande à être rassuré, il donne une réponse ambiguë. La bienveillance n’est pas sans sévérité !
Élever celui qui est face à soi
La bienveillance s’accompagne d’une exigence de vérité, de courage et d’un respect pour l’autre. Il faut oser dire ce que personne ne veut entendre ou taire ce qu’on attend de vous. Il y aurait, d’autre part, quelque-chose de méprisant (de paternaliste pour utiliser le vocabulaire courant) à ne voir dans l’autre que quelqu’un de trop faible pour supporter la vérité et pour fournir le moindre effort spirituel, à le laisser, le conforter dans son état. La bienveillance de Jésus ne consiste pas à s’abaisser au niveau de l’autre, mais à l’élever au sien, à ne pas voir l’incapacité de son interlocuteur, mais son potentiel. Cela s’oppose à tout laxisme et à tout défaitisme : l’autre est capable de recevoir la grâce de Dieu et la grâce de Dieu peut tout !