La bienveillance s’est faite chair !
La bienveillance est à la mode. Les politiques la glissent dans leur livre (Coppé) ou au gré de leurs interviews (Macron) et elle vient d’être placée comme valeur-guide pour l’administration publique. Ils ont compris ce que cette notion pouvait apporter au fameux « vivre-ensemble ». Sur ce point, ils ont raison. Mais la bienveillance est plus que cela. C’est une notion profondément biblique. Un équivalent de la grâce de Dieu dont nous sommes bénéficiaires et que nous sommes appelés à propager. En ce sens, elle a partie liée avec la conversion.
2005. Louisiane. États-Unis. L’ouragan Katrina vient de s’abattre sur les côtes de La Nouvelle-Orléans, faisant des milliers de victimes. Très vite, des rumeurs enflent : la ville serait livrée à des hordes de voyous et de pillards, soumise à des groupes faisant régner la peur et la loi du plus fort, les viols y seraient nombreux tout comme les exactions en tout genre. Les médias américains propagent ces informations. Au fil des heures, elles se révèlent fausses. Ils le reconnaissent d’ailleurs. Dès qu’ils peuvent accéder à la Louisiane, ils constatent que les voleurs ne sont que fort peu nombreux et, qu’en outre, la quasi-totalité des vols concerne des denrées périssables. Ce sont des affamés et des assoiffés qui s’approprient des victuailles traînant dans des magasins désertés. Les médias constatent également que la catastrophe n’a pas transformé les hommes en loups sauvages. Bien au contraire. Les actes altruistes, de pure générosité et de complète solidarité sont aussi multiples que variés. Cet épisode, raconté par Jacques Lecomte dans son livre La bonté humaine, est symptomatique de la manière dont une certaine vision de l’homme peut conduire à déformer la réalité.
Le regard de l’Occident
Le christianisme, malheureusement, a beaucoup influencé cette vision de l’homme. Depuis Saint Augustin, en passant par Martin Luther et Jean Calvin, la principale religion d’Europe a répété que l’homme était mauvais, incapable de faire le bien par lui-même, irrémédiablement pécheur. Cette conception théologique s’est largement répandue en dehors des seules Églises et fidèles. Toutes les strates de la culture occidentale ont été touchées : de l’éducation à la psychologie en passant par la politique et l’économie. En toutes choses, le postulat était que l’homme était méchant, qu’il fallait le corriger, le redresser. Un regard insidieusement intériorisé par beaucoup. Cette malveillance originelle a conduit à un affaiblissement de l’estime de soi et à la montée de la culpabilité. Elle a engendré une société de la méfiance, de la défiance voire du mépris, pour soi et pour l’autre.
La bienveillance invisible
Depuis quelques années, des auteurs tentent d’inverser la tendance. C’est le cas notamment du psychiatre et psychothérapeute Christophe André et du psychologue et neurobiologiste Jacques Lecomte. Ce dernier relève que la bienveillance n’est pas l’alpha et l’oméga de la relation. La bienveillance ne saurait s’imposer dans le domaine de l’éducation ou même dans le monde du travail sans certains corollaires et compléments, comme celui de la vérité, de l’exigence et de la rigueur, sauf à tomber dans le laxisme. Mais le psychologue affirme que la bienveillance colore tout ce qu’elle côtoie. Certes, cela n’a rien de magique. Il n’y a pas de recette pour être bienveillant. Et tous les coachs qui prétendent le contraire ne pensent qu’à se remplir les poches. Dans chaque lieu, il s’agit de changer de regard sur… l’homme. Le psychologue, en s’appuyant sur une multitude d’études en sciences humaines et en neurobiologie, affirme que la bonté et l’altruisme font partie de la nature humaine. Le cerveau d’un l’homme répond positivement à sa générosité (des zones de satisfaction, de plaisir sont stimulées) et à celle des autres. « En d’autres termes, notre cerveau est prédisposé pour ressentir du plaisir lors de relations positives avec autrui. » D’ailleurs, cette bonté première est partout dans nos actes ordinaires : aider une mère à monter sa poussette dans le métro, tenir la porte dans l’escalier…
Une œuvre de résurrection
La bienveillance n’est pas seulement une attitude prônée par les psychologues. Les théologiens se sont également emparés de cette notion. Lytta Basset, par exemple, y a consacré un ouvrage : Oser la bienveillance. L’auteure y souligne qu’elle vient d’ailleurs. « La bienveillance s’est faite chair », pourrait-on dire. En reprenant les textes bibliques, la théologienne genevoise montre comment Jésus n’a cessé de révéler aux hommes la bienveillance et les conséquences que celle-ci a dans leur vie. Les changements induits ne leur sont dictés par aucune loi. Ce n’est pas un chemin imposé, mais des actes posés au souffle de la bienveillance, dans l’écho de celle qui vient de le bouleverser.
Une profonde bienveillance
La théologienne relève ainsi que la bienveillance ne peut se résumer à ces actes de bonté ordinaire et invisible. La bienveillance, celle que pratique le Christ, a partie liée avec le refus du jugement et de la comptabilité : les listes de péchés, les classifications entre justes et injustes, purs et impurs… La bienveillance du Christ n’enferme personne dans ses actes ou ses paroles. Elle accepte les erreurs et les errances. Elle ose le pardon. Ainsi, en Luc 5, Jésus pardonne les fautes (littéralement, les laisse aller) de l’homme qui est devant lui. Et Jésus nous appelle à cela. À sa suite, nous pouvons être des vecteurs d’une profonde bienveillance. Celle qui, en pardonnant à l’autre, lui ouvre un chemin de confiance en soi et en l’autre : suscite sa responsabilité.
En savoir plus
– Lytta Basset, Oser la bienveillance, Paris, Albin Michel, 2014, 425 p., 22 €.
– Jacques Lecomte, La bonté humaine. Altruisme, empathie, générosité, Paris, Odile Jacob, 2012, 398 p., 24,20 €.