Société

Le paradoxe sécuritaire

01 avril 2021

L’état d’urgence permanent est une tentative de réponse aux difficultés successives. Mais, qu’en est-il alors de l’équilibre entre la puissance de l’État et les libertés individuelles ?

Bien sûr, le terrorisme est une réalité et les gouvernements veulent montrer qu’ils agissent. Mais cet « effet de cliquet » – on ne revient pas sur un recul des libertés qui devait être provisoire et cela à chaque nouvel état d’urgence – n’interroge-t-il pas sur le rapport de l’État à sa propre puissance ? En Genèse 3.9, Dieu demande à Adam où il est. Cette parole n’a cessé d’intriguer à propos d’un Dieu qu’on imagine tout savoir de nous. Mais n’est-ce pas une manière de s’autolimiter, d’accepter de ne pas tout voir et de ne pas tout savoir ? Alors, de la surveillance des communications aux derniers élargissements de fichiers, en passant par la généralisation de la vidéosurveillance dans les villes, l’État arrive-t-il à se limiter ?

 

Se garder de l’orgueil

En Genèse 9.8-13, Dieu crée un arc-en-ciel comme un signe, une alerte qu’il se donne à lui-même pour ne pas reproduire le déluge, même si les humains se comportent mal. Dieu se retrouve souvent à débattre avec ses patriarches et ses prophètes sur ses projets de punitions. Dans les sociétés libérales, l’État a divisé lui-même sa puissance, entre le gouvernement, le Parlement, la justice ; laissé de la place aux contre-pouvoirs comme la presse, les associations, les syndicats, les Églises. À eux de lui faire « arc-en-ciel » s’il abusait de sa puissance. Or, une des spécificités de ces modifications successives de la loi est la mise « hors-jeu » progressive des juges. À chacune de ces restrictions de liberté, un très grand nombre d’instances – le Conseil d’État, le défenseur des droits, le comité des droits de l’Homme de l’ONU, les associations – ont alerté : leurs signaux ont été ignorés.

Sécurité, urgence… confiance ? (© Photo Mix)

 

La confiance mise à mal

Ainsi s’accentue le « paradoxe politique » dont parlait Paul Ricœur. Pour défendre notre système démocratique, le gouvernement déséquilibre petit à petit le jeu démocratique au profit du gouvernement, des préfets, des forces de l’ordre… Pour nous rassurer, il crée un état d’urgence permanent qui entraîne un sentiment d’étouffement, d’angoisse propice à toutes les suspicions et tous les rejets, mettant à mal la confiance entre les individus, les communautés et l’État, pourtant nécessaire pour un vivre ensemble démocratique et fraternel…

En savoir plus

Les faits

Le 20 novembre 2015, une loi prolonge l’état d’urgence instauré suite aux attentats du Bataclan et inscrit dans la loi ordinaire plusieurs exceptions. Même chose, le 1er novembre 2017, après l’état d’urgence décrété suite aux attentats de Nice. Le 10 juillet 2020, la fin de l’état d’urgence sanitaire s’accompagne de nouvelles inscriptions dans la loi. Par exemple, l’assignation à résidence est progressivement élargie ; les perquisitions sont à chaque nouvelle loi rendues plus faciles, n’étant plus nécessairement effectuées sur demande d’un juge ; la possibilité de fermer des lieux de cultes par le préfet ne passe plus par la vérification préalable par un juge des raisons invoquées ; la surveillance des communications est renforcée. Pour des raisons sanitaires, les préfets peuvent plus facilement interdire les manifestations sans que les critères en soient précisés… Fin 2020, la police et la gendarmerie sont autorisées à ficher les opinions politiques, appartenances syndicales et données de santé… Actuellement sont discutées les lois de sécurité globale, « séparatisme »…

Stéphane Lavignotte
pasteur à la Mission populaire, auteur

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